Au matin du15 mai, le contre-coup d'Etat venait d'échouer à cause de la résistance des militaires du Bureau Spécial pour la Protections des institutions-BSPI. Quelques officiers putschistes ce sont rendus, mettant ainsi fin à leur tentative.
Contre-coup d'Etat avorté ou révolution avortée ?
A voir la logique des organisateurs, on a l'impression qu'ils voulaient relayer la population qui venaient de passer près de deux semaines dans les rues pour exiger le départ de Pierre Nkurunziza. Par cet acte, ces courageux officiers espéraient réaliser des changements similaires à ceux réussis ailleurs en Egypte, en Tunisie et surtout au Burkina Faso, où les militaires se joints au peuple pour chasser une dictature qui a régné sans partage une trentaine d'années.
Depuis 2005, le Burundi vit un marasme social, économique et politique indescriptible, c'est pourquoi ce contre-coût d'État avorté avait été accueilli avec allégresse par la population. Ce contre-coup d'Etat avait l'allure d'une révolution, puisque ses organisateurs prévoyaient l'éviction d'un régime corrompu, kleptomane, prédateur des droits et libertés, violent et diviseur ; en vue de l'organisation d'une transition pour préparer et tenir des élections libres, dignes et honnêtes.
Immaturité des militaires ou des militaires corrompus ?
A l'image de ceux de Mobutu de l'ex Zaïre, les militaires burundais ne sont pas payés de la même façon. En effet, comme tout dictateur, Nkurunziza engraisse une partie des militaires : 5 bataillons, en majorité du BSPI. Il s'agit du bataillon de garde de Kiriri, celui de Mwumba, du camp Muha, de celui de Kamenge et d'autres éléments des camps de Bujumbura. Ce sont ces éléments bien engraissés, appuyés par les miliciens Imbonerakure, qui lui sont fidèles et ont joué le rôle déterminant pour faire échouer la tentative de changement.
Histoire d'immaturité : ces braves boivent la bière (gusoma inzoga) mais ne lisent pas (gusoma ibitabu) comme les militaires de certains autres pays qui ont réussi leur révolution. S'ils avaient un minimum de maturité politique, ils auraient compris et marché, eux aussi, dans le sens de l'histoire, car le processus révolutionnaire en cours est irréversible. Ils devraient comprendre que l'enveloppe que Nkurunziza leur donne ne constitue que des miettes. Mais, encore immatures, ils semblent indifférents, sinon hostiles, aux revendications populaires actuelles, qui ne cesseront qu'avec le départ de Nkurunziza et de son système. Nous leur demandons de méditer sur l'adage célèbre de Sankara : « un militaire sans formation politique est criminel en puissance ».
Faire taire toute voix discordante.
Au cours de ces évènements, le pouvoir Nkurunziza, ses policiers et miliciens ont profité pour incendier la radio RPA, qui dénonçait régulièrement les abus du pouvoir. Mais comme l'adage le dit en kirundi, « Uta isake ntuta ico ibitse : Tu jettes le coq, mais tu ne jettes pas son présage ». Museler les médias libres, bombarder les radios indépendantes ne résoudra rien. Cela va multiplier les adversaires du régime et les pousser à faire preuve d'ingéniosité pour inventer d'autres canaux de communication, subtiles et hors de portée de coups du tyran.
La liquidation de la dictature : la longue marche
Troisième mandat ou pas, Nkurunziza a juré, comme le Maréchal Mobutu, qu'il ne négociera jamais avec l'opposition et qu'il ne sera jamais appelé « ancien Président ». Reste au peuple burundais d'en tirer les conséquences, et d'accepter la longue marche vers la démocratie et la dignité. Elle est pénible, mais il ne fait aucun doute qu'elle finira, au Burundi comme ailleurs, par mener le peuple à la victoire. Tirer les leçons de l'échec de Niyombare et ses compagnons, dont on doit saluer le patriotisme et le légalisme républicain, c'est comprendre, entre autres, la nécessité d'une réelle coordination entre toutes les forces révolutionnaires. Et celle de faire comprendre à ceux qui soutiennent en Nkurunziza « notre Président hutu », qu'il a massacré des milliers de Hutus, qu'il ne défend que les intérêts de son oligarchie de Hutus et de Tutsis, et n'a aucune empathie pour son peuple, classé parmi les plus pauvres du monde.
Incurable Nkurunziza
Parmi les pires défauts dont puisse être affligé un homme d'Etat, figurent la surdité à tout conseil et l'incapacité à tirer des leçons de l'expérience. Du latin experiri, expérience signifie d'abord, faire l'essai, subir. Ainsi on peut parler par exemple de l'expérience d'une piqûre d'abeille ou de raie... Nkurunziza vient d'avoir une expérience : il a été, pendant près de deux jours, un homme errant, un demandeur d'asile, un réprouvé, un faible vaincu, un suppliant, un indésirable assailli par tous les doutes. Mais voilà que momentanément sauvé par ses fidèles, au lieu de délivrer au peuple un message disant : « Je vous ai compris ! » et tirer sa révérence, il a prononcé un discours guerrier, annoncé la poursuite du processus électoral, et enjoint de cesser toute manifestation ! Peut-il y avoir plus bêtement têtu ? Que fera-t-il quand les manifestations se poursuivront ? Tirer et tirer encore à balles réelles ?
Je me souviens des mots prémonitoires du poète Lazanda qu'avait cités Albanel Simpemuka dans un article sur les difficultés de quitter le pouvoir et qui disaient notamment :
« ...Toi qui parsèmes ta route d'ossements
De béances et de cauchemars !
Mon chant sera proche des pleurs
Pour avertir ta cécité du moment
Pour me laver les mains de ton sort
Scellé en destin d'effondrement
De fuite désordonnée et de remords.
Tu l'auras voulu !
Hagard sera ton regard, il sera trop tard !... »