Des avantages et effets du pouvoir
On le devine aisément, il n'est pas facile de quitter le pouvoir, quel qu'il soit. S'il est politique, on perd un statut éminent, des avantages, des honneurs, de l'influence et des gains. On était habitué à commander, à être au-dessus de tout le monde - du moins dans son pays et relativement -, et voilà que l'on a, à son tour, plus grand que soi.
Oui, c'est difficile, quand on sait les effets psychologiques du pouvoir. On les résume souvent par cet adage péjoratif : « le pouvoir rend fou ». Comment le pouvoir rend-il fou ? Si les effets matériels du pouvoir relèvent du registre des « objets observables » comme la grande fortune, la notoriété, la visibilité, la puissance, la capacité d'accéder à une masse d'informations, etc., les effets psychologiques sont moins évidents. Or, chez certains, le pouvoir agit comme un psychotrope qui exerce une emprise irrésistible sur le psychisme.
Les spécialistes ont constaté que chez certains dirigeants, le pouvoir désinhibe et hypertrophie le moi. Il procure une espèce d'extase devant la foule, dont Hitler disait que « c'est une femme qu'il faut avoir ! ». De plus, le pouvoir politique affole les désirs, donne l'illusion d'une volonté illimitée et d'un règne total sur les esprits et le monde, ainsi que le fantasme de puissance sexuelle. Il s'agit donc d'un véritable phénomène de possession, d'addiction : « Nous ne possédons pas le pouvoir, il nous possède » disait Etienne de La Boétie. Napoléon ajouterait que « La manie de régner sur les esprits est la plus puissante de toutes les passions2 ».
Sadisme, folie des grandeurs, jouissance dans la répression, identification du moi avec le pouvoir, autant de répercussions psychologiques observées chez certains hommes politiques. Pour eux, perdre le pouvoir, c'est mourir, perdre son identité. S'il est difficile de diagnostiquer la psychogenèse des manies, souvent meurtrières, de ces dirigeants, chez qui le pouvoir est comme un pansement narcissique, il est plus facile de trouver dans leur bilan, la peur de quitter le pouvoir.
Le secret est aussi dans le passif
Lors de son exercice du pouvoir, le président Nkurunziza et son régime se sont rendus coupables de nombreux manquements, qui leur font craindre l'avenir. La laïcité de l'Etat a été mise à mal, la loi allègrement piétinée, l'éthique et l'intégrité économique ont été oubliées ; la violence brutale a été mise au service des intérêts particuliers, la justice et les services de sécurité ont été privatisés, et l'impunité assurée aux oligarques du pouvoir. Ils ont banalisé le mérite, promu la médiocrité et ridiculisé les intelligences. Cela explique la peur des lendemains et l'entêtement à vouloir tricher avec la loi et le temps. Voilà aussi pourquoi Nkurunziza agit contre le bon sens au moment où il a besoin d'une extrême lucidité. Alors que la question vitale est « Comment éviter la guerre dans le pays ? », lui et les siens se demandent « comment tromper l'histoire et sauver le régime ? »
Aller au fond des choses.
Certains observateurs centrent leurs analyses sur les rivalités et autres frondes au sein de la classe politique et des hautes sphères de l'armée et la police. Ils comptent le nombre de généraux, naguère hostiles au 3ème mandat, mais déjà « retournés » ou achetés, qui ont rompu avec les frondeurs ; prédisent la repentance prochaine de partisans du refus mis sous pression, ainsi que le prochain passage en force de Nkurunziza pour imposer sa candidature au parti. Possible. Possible aussi que tout cela ne soit que l'écume à la surface. Car, Nkurunziza peut – c'est le mot juste - corrompre les généraux, limoger tel ou tel fonctionnaire récalcitrant, mais il fait face à des murs dressés en bataille contre lui.
L'ONU lui a dit non, l'Union européenne lui a dit non, l'Union africaine lui a dit non, les députés belges lui ont dit non. La presse internationale oppose une clameur hostile à une candidature de trop. Des personnalités ont discrètement ou ouvertement conseillé Nkurunziza de ne pas franchir le Rubicon. Ça, c'est dans le monde. Et ce n'est pas rien. Mais l'autre monde, c'est le peuple burundais qui plie mais ne rompt pas. Ce peuple qu'on a trompé, mais qui a perdu ses illusions ; ce peuple qui a déjà montré des signes d'impatience. C'est à ce peuple que reviendra le dernier mot, car : « Sous l'écume, le courant ; sous la cendre, la braise ! » Non. Ne nous contentons pas d'une chronique narrative des soubresauts trompeurs d'une oligarchie prise de panique. Le maître mot est dans l'organisation et non dans les incantations. L'arbre est vermoulu et doit tomber. Que les héros se préparent à lui donner la cognée fatale.
Disons au peuple qui souffre, qui n'en peut plus, qui en a marre : « Faisons provision de cailloux !», comme le suggère Lazanda dans son poème inédit intitulé Tu l'auras voulu, et que je vous propose de lire :
« TU L'AURAS VOULU
Mon chant sera proche des pleurs
Tristesse mélodieuse conjurant le malheur !
Toi qui t'entêtes à jouer le cor
Sur les pentes d'éboulement sans décor
Ignorant les signes hirsutes des temps,
Toi, qui veux des charges de géant
Et fais semblant d'avancer
Dans la glaise les pieds englués,
Toi, bossu et nain de la vérité
Qui joues à cache-cache avec les délais,
Toi qui sais forcer les portes d'accès
Loyal à la démesure et aux caprices,
Toi qui parsèmes ta route d'ossements
De béances et de cauchemars !
Mon chant sera proche des pleurs
Pour avertir ta cécité du moment
Pour me laver les mains de ton sort
Scellé en destin d'effondrement
De fuite désordonnée et de remords.
Tu l'auras voulu !
Hagard sera ton regard, il sera trop tard !
J'ai fait provision de cailloux
Pour lapider tes voyous
J'ai du bois pour des arbalètes
Et gonfle l'immense souffle de tempête
Pour assécher tes marécages
Et briser toutes tes cages.
J'ai bu déjà du lait de lionne
Qui fait pousser la belle crinière,
Qui défie tes cornes de phacochère.
Tu l'auras voulu ! »
Lazanda
Note:
- « L'Autorité est la possibilité qu'a un agent d'agir sur les autres (ou sur un autre), sans que ces autres réagissent sur lui, tout en étant capables de le faire. » Alexandre Kojève, La notion de l'autorité, 1942, Gallimard
- Cité par Manès Sperber, dans Psychologie du pouvoir, Odile Jacob, 1995.