1. Qu'est-ce qui caractérise un pays indépendant?
Ces derniers temps, beaucoup de gens parlent d'indépendance, du fait qu'aujourd'hui nous célébrons le cinquante-deuxième anniversaire de l'indépendance du pays. C'est donc le moment indiqué pour interroger le sens de ce mot, afin de bien comprendre sa signification.
L'indépendance, ce n'est pas seulement le drapeau ou l'hymne qui symbolisent et magnifient le pays. Il est plus juste de dire que tel pays est réellement indépendant, si ses habitants se suffisent, peuvent disposer des ressources nécessaires à leur vie, sans devoir quémander et recevoir une assistance : c'est dire quand ils peuvent avoir des aliments suffisants propres à soutenir leur santé et même avoir des réserves ; quand ils ont un logement ; quand ils peuvent tous se faire soigner et poursuivre leurs études jusqu'aux limites de leurs potentialités.
C'est également quand ils ont leur identité culturelle propre : leur langue et leur religion; quand ils ont confiance en eux et ne tolèrent pas d'être dominés par des étrangers ; quand ils défendent leur pays et consentent pour lui des sacrifices, jusqu'au sacrifice suprême en cas de nécessité. L'autre critère d'indépendance, c'est le fait que les citoyens ont droit à la parole et s'expriment librement, ce qui donne à leur pays une audience et une stature internationale.
Les autres indices de l'indépendance d'un pays sont : le degré de patriotisme dont font preuve les citoyens dans leur vie quotidienne ; l'unité entre les gens, entre les régions et les ethnies qui le composent. Nous insistons sur cette question de l'unité au sein de la population, car, toutes les puissances colonialistes ont utilisé le principe colonial de diviser pour règner, la division ethnique notamment, afin de nous dominer pendant que nous nous entre déchirions, comme ce fut le cas ici au Burundi, et ces divisions nous ont laissé des séquelles qui n'ont pas encore tout à fait disparu.
Informez-vous sur l'histoire de notre pays, surtout sur les années 1934-1935 ; et demandez d'où provenaient les premiers enfants qui allaient faire leurs études à Astrida. Bien des improvisations furent menées à l'approche des indépendances !
Un pays indépendant a normalement ses forces armées, capables d'assurer la protection de ses frontières, ce qui explique qu'il refuse que des troupes étrangères viennent s'installer sur son territoire en y érigeant des bases militaires. Même s'il signe des accords de coopération militaire, il privilégie toujours son indépendance ainsi que la sécurité de ses habitants.
2. Quelle était la situation en Afrique avant la colonisation ?
Les régimes coloniaux en Afrique ont commencé avec la traite négrière, quand les colons européens déportèrent de nombreuses populations africaines vers d'autres pays tels l'Amérique : les spécialistes disent que l'Afrique aurait perdu près de 100 millions de personnes, dont 20% seulement arrivaient à destination. Les autres, qui mouraient en cours de route, étaient jetés par-dessus bord et dévorés par les crocodiles et d'autres gros poissons. Ceux qui observent depuis quelques temps les compétitions de football en cours au Brésil, se demandent et comprennent probablement d'où proviennent les jeunes noirs qui jouent dans les équipes des pays d'Amérique du Sud.
Avant la colonisation, il y avait en Afrique des pays indépendants, beaucoup de régimes étaient des royaumes monarchiques ; par exemple le Dahomey appelé aujourd'hui Bénin, était dirigé par le roi Béhanzin. Et plus près de nous, il y avait de grands pays, ayant des régimes différents, mais autonomes, et l'on sait que le Burundi était entouré de royaumes.
Le Burundi était un pays respectable, avec ses frontières. Le pouvoir monarchique était organisé de la base jusqu'au sommet. Le régime avait une force armée pour protéger les frontières du pays. Les Burundais ont combattu victorieusement différentes armées extérieures : sous Ntare Rugamba ils ont battu les Zoulous qui avaient attaqué le Burundi depuis l'Afrique australe. Mwezi Gisabo a combattu et vaincu les Arabes de Rumariza qui venaient asservir les Burundais. Il a lutté contre les Allemands, mais, à cause de la puissance de leurs armes à feu, ceux-ci ont vaincu les armées du Burundi de Mwezi Gisabo, après une guerre de près de huit ans. Suite à quoi fut signé le Traité dit de Kiganda, au début du 20ème siècle.
Les Burundais vivaient d'agriculture et d'élevage, semaient et récoltaient du sorgho, du manioc, des patates en quantité, du maïs, des inumpus, des haricots, du petit pois, des ignames, des arachides, des bananiers, du pois cajan, et bien d'autres. Les spécialistes aménageaient des termitières pour élever les termites, aliment riche en vitamines. Ils élevaient des vaches, des chèvres et des moutons, des poules et d'autres animaux domestiques. Des fois, la disette frappait les populations suite à l'absence de pluie ou aux ravages des champs par les criquets. Il était institué, au mois de décembre, une grandiose fête agricole, qui rassemblait tous les Barundi au palais du roi : L'umuganuro.
En matière de gouvernement, le Roi, père de la Nation, ne pouvait pas prendre une décision sans consulter les Sages et ses conseillers. De plus, en cas de faute grave de sa part, les Sages pouvaient le déchoir de ses fonctions, en lui demandant de prendre de l'hydromel fatal. A cette époque, la Justice fonctionnait mieux que celle d'aujourd'hui, et c'étaient les Sages Bashingantahe qui départagaient ceux qui avaient des litiges. A part l'agriculture et l'élevage, les Burundais vivaient de leurs métiers ; ils fabriquaient les outils d'usage courant : houes, serpes, paniers pour transporter le fumier, pots pour le lait, vêtements, lits pour dormir, sièges, médicaments pour eux-mêmes et leurs animaux domestiques, etc.
Les Burundais avaient leur propre culture authentique, leur langue, leur religion et leur Dieu trinitaire à eux, leurs danses et chants propres au Burundi. L'amour de la patrie et le sens de l'unité étaient réels, car en cas d'attaques extérieures, les armées du Roi se mobilisaient pour les repousser. Informez-vous sur ce qui s'est passé aux abords de Kirundo et ailleurs. A cette époque, il n'y eut jamais de guerres opposant les ethnies Hutu et Tutsi, ou d'autres groupes comme les clans. Le Roi ne penchait du côté d'aucune ethnie, il était au-dessus des ethnies. Cependant, le pouvoir royal commettait des injustices contre la population : l'expropriation, l'ostracisme, l'exclusion de certains groupes, le sacrifice humain lors de la formation de digues pour abreuvoirs (lors de l'intronisation), le fait de planter sa lance dans le pied de quelqu'un, etc. Beaucoup de paysans n'avaient plus de propriété terrienne, ils étaient des dépendants serfs dits Abagererwa.
3. Rappel historique de la colonisation.
En 1885, les grandes puissances qu'étaient la France, l'Angleterre, l'Allemagne, et d'autres petits pays comme la Belgique et le Portugal, organisèrent une conférence à Berlin, la capitale de l'Allemagne, pour s'entendre sur le partage des pays africains. Aucun pays africain ne fut représenté, l'Afrique étant appelée alors terre inconnue habitée seulement par des éléphants ! Ces pays prirent donc la décision de se répartir les pays africains à leur convenance, sans informer ni consulter aucun Africain. Les colons européens ne sont donc venus en Afrique ni par amour pour nos pays, ni pour les développer et les civiliser comme certains aiment le dire, ils sont venus par appât du gain, pour piller ou voler de l'or, du cuivre, ainsi que d'autres richesses minérales ; élargir leurs marchés pour écouler leurs produits ; fabriquer leurs marchandises à bas prix à cause des maigres salaires payés aux ouvriers africains. Et entre eux régnait la méfiance et les rivalités, car ils ne se sont pas accordés sur les modalités précises d'un vrai partage, ce qui entraîna des affrontements entre eux. A cette époque, les Allemands étaient mécontents, car ils avaient reçu une petite portion de l'Afrique, alors qu'ils se croyaient plus puissants que la France et l'Angleterre qui s'étaient adjugé la terre entière.
Cette colère des Allemands s'est accrue jusqu'à l'éclatement de la première guerre mondiale. Les Allemands, vaincus lors de cette guerre (dite guerre mondiale alors qu'elle était d'origine intra-européenne), furent remplacés au Burundi par les Belges. Ceux-ci avaient un roi appelé Léopold 1er, qui était propriétaire, à titre personnel, du Congo voisin. Allemands et Belges n'ont pas supprimé la royauté, mais ils l'ont privée de tout pouvoir réel ; les principales décisions concernant le pays étaient désormais prises par le pouvoir colonial. Toutes les activités menées dans le pays étaient orientées vers la satisfaction du colon européen.
Le pouvoir colonial était contre tout ce qui pouvait faire du burundais un citoyen indépendant chez lui, surtout dans le domaine culturel. Même l'ouverture des écoles visait uniquement la recherche d'auxiliaires du pouvoir colonial ; vous savez probablement qu'à l'indépendance, à part une poignée de prêtres catholiques, il n'y avait que de rares universitaires, qui ne dépassaient pas le nombre des doigts de la main. Cependant, il y eut des Burundais qui n'acceptèrent jamais d'être soumis. Parmi eux, citons une brave femme qui mérite que nous nous souvenions tous d'elle ce jour : Inamujandi a combattu le pouvoir colonial à Ndora, et les colons belges ont fini par l'arrêter et l'emprisonner à Ngozi pendant 9 ans. Elle mérite de recevoir un juste hommage parmi les femmes qui ont lutté pour l'indépendance du Burundi. Et il convient que lui soit dédié le nom d'un boulevard relié à celui de l'Indépendance, ainsi qu'un monument symbole, visible par tous en plein centre de la ville de Bujumbura. Et ce nom de Boulavard de l'indépendance devrait être traduit en Kirundi.
Cette habitude de lutter contre les colons venus pour dominer, s'approprier l'Afrique, a eu lieu dans d'autres pays africains, je vous donnerais les exemples de l'Afrique australe, où le chef militaire Chaka a lutté contre les Anglais et les a battus à plusieurs reprises. En Angola, la reine Ngola Mbandi Nzinga a combattu les Portugais venus capturer en masse, par force, des gens pour les emmener en Amérique comme esclaves, et pour installer un pouvoir colonial en Angola. Cette reine les a combattus pendant plus de trente ans.
En Afrique de l'Ouest, Samori Touré du Mali a affronté les colonialistes français durant plus de 16 ans. Il y a également Aline Sitoe Diata, en Casamance, au Sénégal, qui s'illustra dans ce sens.
Ici, dans notre pays, le pouvoir colonial nous a dépouillés de toutes les assises culturelles, ce qui a fait reculer l'indépendance. Nous citerons les principales ci-après :
-Ils nous ont ravi tout le pouvoir politique, toutes les mesures importantes étant prises par eux.
- Ils nous ont spolié la grande région du Bugufi, qui est désormais rattachée à la Tanzanie voisine.
-Vous voyez qu'il y a une vaste région autour du Burundi où l'on parle la langue Kirundi, toutes ces populations auraient normalement formé un seul pays, la séparation a été provoquée par ces pouvoirs coloniaux.
- En matière économique, presque tous les métiers ont régressé : que ce soit la forge, la fabrication des médicaments, l'agriculture etc. Les ateliers de forge que les Burundais avaient construits eux-mêmes ont fermé. Les Burundais se sont fait intimer l'ordre d'utiliser les outils importés par les colons et ont abandonné leurs métiers ; ils n'ont plus forgé les houes, les serpettes etc., ils ont abandonné leurs propres médicaments. Dans l'agriculture, les colons les ont incités à cultiver surtout les cultures dites d'exportation, dont ils avaient besoin, comme le café et le thé. Les cultures vivrières furent délaissées.
De surcroît, ils ont évincé nos coutumes au point de supprimer la fête nationale agricole d'Umuganro. Parmi celles qu'ils ont fait régresser, on ne saurait oublier Dieu Imana et la croyance basée sur notre génie propre : qui se souvient que les prénoms Pierre, Léonard, Jean, Marie et Immaculée, et de nombreux autres, ne sont pas des noms authentiques Burundais ? S'ils avaient réfléchis, ils auraient découvert que Bigirimana va de pair avec la foi en Imana des Burundais, plus que Zacharie et Joseph, sans parler des Betty, Eddy ou Issa Que personne n'aille donc croire que les colons sont venus pour nous développer, ils sont venus pour les richesses, et pour élargir leurs marchés en vue d'écouler leurs produits.
4. L'indépendance.
Vers les années 1960, de nombreux pays africains, dont le Burundi, sont devenus indépendants, précédés d'abord par le Ghana de Kwame N'krumah. Auparavant, des spécialistes visionnaires comme Frantz Fanon ont publié des écrits relatifs aux injustices que les colons européens ont infligées aux Africains, depuis leur soumission et leur esclavage dans les pays d'Amérique. Certains Africains qui ont fait leurs études en Europe comme N'krumah, Rwagasore, Kenyatta, Lumumba, Nyerere et d'autres, ont pu s'entretenir avec des Européens opposés au colonialisme, regroupés souvent au sein des partis progressistes, et ont organisé des conférences qui ont rassemblé des militants africains déterminés à acquérir l'indépendance de l'Afrique.
Mis à part les événements qui ont précédé, comme la conférence de Bandoeng en 1955, la première conférence importante, qui conduisit les Africains à se mobiliser pour la lutte en vue de l'indépendance, s'est tenue au Ghana et fut préparée et convoquée par Kwamé N'krumah en 1958, le militant qui dirigeait ce pays, qui fut le premier pays noir à être réellement indépendant en Afrique en 1957. Au cours de cette conférence, Lumumba, Modibo Keita, Gamal Abdel Nasser, qui a dirigé l'Egypte, étaient tous présents. Nombreux parmi ceux qui ont assisté à cette conférence ont ensuite fondé des partis indépendantistes, d'autres ont entamé la lutté armée pour la libération de leur pays. Citons par exemple le regretté Amilcar Cabral de Guinée Bissau, Ben Barka du Maroc Même ceux qui n'étaient pas à cette conférence ont adhéré à ses conclusions, comme Mugabe et Nkomo du Zimbabwe, Mondlane du Mozambique, Mandela et d'autres, n'ont pas tardé à enclencher la lutte armée pour se libérer du joug colonial.
Chez nous au Burundi, le prince Rwagasore et Paul Mirerekano ont vite fondé un parti qui revendiquait l'indépendance, l'UPRONA. Les colons belges l'ont combattu, ont créé des partis fantoches instrumentalisés, et sont allés jusqu'à lui voler des voix lors des élections des administrateurs communaux de 1961 ; mais, à cause de ses vives protestations, l'ONU l'a entendu, et les élections législatives se déroulèrent dans la plus grande sérénité et Rwagasore les a remportées.
Vous comprenez donc que frauder des élections, tout comme créer des partis fantoches Nyakuri favorables au pouvoir en place ne date pas d'aujourd'hui. Mais, hélas, les colons belges ont fini par l'assassiner, parce qu'il les a privés de leurs avantages acquis. Vous savez les nombreuses richesses qu'ils tiraient de l'Afrique : des minerais gratuits, des produits alimentaires tels que le café et d'autres réquisitions quotidiennes de « cadeaux ». Les puissances colonialistes se sont enrichies grâce aux ressources volées dans les pays qu'ils se sont répartis.
Imaginez l'ampleur des ressources pillées au Congo. Ces puissances colonialistes ont combattu la majorité de tous les leaders qui ont lutté pour l'indépendance véritable et continuent de le faire ; les uns ont été assassinés, les autres ont été persécutés ou jetés en prison. Lumumba a été assassiné, tout comme Amilcar Cabral de Guinée Bissau et Ruben Um Nyobe du Cameroun. Et tous les autres dirigeants africains, venus avec cet élan patriotique, ont été persécutés comme Mandela, qui fut emprisonné durant 27 ans, et qui sortit de prison affaibli et trop diminué pour avoir encore la force de poursuivre la libération de l'Afrique entière ; d'autres encore ont été tués comme Sankara, et à leur place furent intronisés des « béni oui oui ». Même Ndadaye fut victime de son attachement à l'indépendance de son pays, car celui qui n'est pas assassiné par leurs propres mains, l'est par leurs hommes de main.
5. Nos pays ne sont-ils pas encore réellement indépendants?
Que ce soit en matière économique, culturel ou scientifique, on constate un grand déficit. Le chemin est encore long. Certes, beaucoup de pays ont accédé à leur indépendance formelle. Ils ont pu faire beaucoup de réalisations dans les domaines économique, social et scientifique, etc. Nous avons accédé à l'indépendance avec très peu d'écoles, sans aucune université au Burundi, et aujourd'hui nous en avons plus d'une dizaine. Les burundais qui avaient achevé leurs études universitaires étaient une poignée et ne dépassaient pas la vingtaine.
Il y avait une seule route goudronnée, celle qui part de Bujumbura jusqu'à Bugarama. Nous n'avions qu'un seul médecin, le docteur Pie Masumbuko ; maintenant ils sont plus de 400, et les maladies n'emportent plus les gens comme à cette époque. En 52 ans, il y a eu beaucoup plus de réalisations que durant le régime colonial, qui a duré près d'un siècle. Mais tout compte fait, le trajet est encore long avant de pouvoir dire que nous sommes indépendants. Et l'indépendance commence dans la mentalité et le cur des gens.
L'indépendance signifie d'abord un certain degré d'autonomie, à commencer par l'économie, l'on dira que vous êtes indépendant si vous avez l'autosuffisance et la souveraineté alimentaires, si les biens de première nécessité sont produits à l'intérieur du pays. Parmi eux, citons les techniques et moyens de production permettant aux populations d'accroître leur productivité dans l'agriculture et l'élevage, les houes, les machettes, les brouettes, les engrais pour amender la qualité des terres arables, la multiplication des semences améliorées. Sans oublier les usines textiles et alimentaires. Il ne faut pas compter sur l'aide en tout, car comme dit l'adage « Aide-toi et le ciel t'aidera ». Aujourd'hui, au Burundi, nous ne savons même plus fabriquer un cure dent, on a oublié même comment fabriquer une épingle ou des peignes, nous attendons de tout acheter à l'extérieur.
Actuellement, pour que l'Assemblée nationale vote une loi des finances annuelles de l'Etat, elle doit attendre l'autorisation du Fonds monétaire international ; dans un pays indépendant, l'Assemblée nationale passe près de deux mois à analyser les projets de dépenses budgétaires soumis par le Gouvernement, correspondant à la loi des finances. Chez nous, la durée de l'examen de cette loi ne dépasse probablement pas une semaine. Dans les dépenses budgétaires annuelles de l'Etat, plus de 50% de financement viennent de l'extérieur.
Il est incompréhensible que des pays africains, indépendants depuis plus de cinquante ans, n'arrivent pas à gérer leurs propres affaires, surtout la sécurité, à tel point qu'à la moindre alerte, ils font appel à des troupes étrangères.
Les réunions pour examiner les questions de sécurité se tiennent à l'étranger. L'absence d'une compagnie aérienne, d'une flotte navale, d'une société de chemins de fer pour transporter les personnes et les biens, l'absence d'une monnaie africaine, sont des réalités qui font honte. Même Air Afrique que nous nous étions ingéniés à mettre en place a été bradé en un clin d'il ! Aucun pays en Afrique n'est en train de préparer une stratégie de défense contre ceux qui viennent piller nos ressources par force. Nous savons bien que les ressources naturelles dont dispose l'Afrique sont immenses, nous apprenons qu'ils produisent beaucoup d'hydrocarbure et de gaz. Mais quand vous voyagez de Bujumbura vers certains pays africains, vous devez d'abord transiter par l'Europe, sinon vous passez deux à trois jours en route. Sans parler des coûts exorbitants de ces voyages.
Saviez-vous qu'aller de Bujumbura à Paris (8000km) coûte plus cher qu'aller de Paris vers l'Afrique du Sud (environ 12000km) en survolant Bujumbura ? Cela montre l'absence de relations entre les populations des pays africains. Comment l'unité africaine pourrait-elle être forte si les Africains ne se connaissent pas, par manque de fréquentation entre eux ? Souvent, certaines puissances néocolonialistes placent à la tête des Etats africains des dirigeants « béni oui oui », ayant des comportements de mercenaires ou de vassaux, de sorte qu'une partie de la richesse nationale va garnir les poches d'une petite poignée de gens, qui vont la cacher dans les banques des pays développés ou dans les paradis fiscaux, tandis que la plus grande part va chez leurs maîtres. Voilà pourquoi, aujourd'hui, certains n'hésitent pas à dire : « Autrefois les colons nous mangeaient étant assis sur nous, aujourd'hui, ils nous mangent étant assis à nos côtés. » Dans de nombreux pays, de nouveaux dirigeants ont remplacé les colonialistes. Mais, un pays où l'Etat est incapable d'organiser la bonne gouvernance, des élections, sans recourir au financement extérieur, n'est pas véritablement indépendant. Alors pas du tout.
En matière culturelle, vous constatez que notre langue a reculé, certaines personnes ont honte d'utiliser le Kirundi ou le Kiswahili, ce qui montre que nous n'avons pas confiance en nous-mêmes. Tous les pays qui se sont développés, que ce soit la Chine, la France ou le Japon, ont basé leur développement sur leur propre culture, en commençant par la langue. Mais, savez-vous que notre constitution approuvée par référendum en 2005 est en Français ? L'Assemblée nationale et le Sénat travaillent-ils en leur sein en Kirundi ? Les nouvelles lois, mises à part les anciennes, sont-elles publiées en Kirundi ? Dans quelle langue le citoyen ordinaire adresse-t-il sa correspondance au chef de l'Etat ? Et l'autorité ? Vous ne pouvez pas vous dire indépendant quand le pouvoir en place ne garantit pas les droits des citoyens, foule au pied les lois qu'il devrait faire respecter ; quand les citoyens sont baillonnés.
Maintenant, bien des gens affirment la nécessité d'une nouvelle indépendance ou la rennaissance africaine. Pour que le peuple mette lui-même en place des dirigeants qui acceptent d'être de véritables serviteurs de la population ; des leaders patriotes, qui n'aiment pas quémander ; capables de sortir le pays de l'asservissement pour rendre la dignité et le pouvoir au peuple, afin qu'il retrouve la confiance en lui-même. Nous avons besoin de dirigeants qui nourrissent dans leur for intérieur l'ambition d'être indépendants, qui aiment leur pays, qui aiment le peuple. Des dirigeants déterminés à développer le pays, afin que les enfants burundais puissent avoir trois repas par jour.
On l'a dit, si vous ne vous nourrissez pas, vous ne vous commandez pas. Aussi longtemps que nous n'aurons pas atteint l'autosuffisance alimentaire, pour ne plus importer toute la nourriture de l'extérieur : le blé, les haricots, le maïs, les légumes, les fruits, les pommes de terre, les petits pois, les patates douces, le manioc, les bananes, le lait, les ufs, le riz alors que nous pouvons les produire chez nous, nous ne serons pas encore indépendants.
Les pays africains sont les plus riches en ressources naturelles, plus que tous les autres pays du monde, cette richesse est recherchée par tous ; si nous ne prenons garde, elle va engendrer la misère et la servitude extrême. Les guerres que vous observez ici et là : au Congo, au Soudan, en Libye, au Mali, en Côte d'Ivoire, en Centrafrique n'ont d'autre cause que la tendance à vouloir piller ces richesses. Du fait que ces mineraies sont convoités par d'autres pays très puissants, ceux-ci s'emploieront sans cesse à déstabiliser l'Afrique.
Ici chez nous, au Burundi, nous avons appris récemment qu'une Société va extraire du minerai de Nickel et du minerai de fer. Cette société est constituée par des étrangers, l'Etat burundais y détient pas plus de 15% du capital. Vous comprenez alors que toute cette richesse sera épuisée par des étrangers. Il y a également l'information qui a filtré sur le pétrole du lac Tanganyika : nous surveillons pour voir quel sera son sort.
Tout d'abord un Etat qui veut être indépendant devrait préalablement envoyer beaucoup de Burundais en formation en matière de géologie et mines, car aujourd'hui nous n'avons plus qu'un seul ingénieur, qui a plus de cinquante ans. Que celui qui en connaît d'autres nous en informe. De plus l'Etat devrait détenir plus de 50% de parts du capital ; il devrait inciter beaucoup de Burundais à y détenir des actions. Dans le cas contraire, nous appelons les citoyens à dénoncer cette escroquerie inqualifiable, qui montre combien le pays a été bradé.
L'Afrique, jadis, était autosuffisante, indépendante, elle avait des specialistes en divers domaines du savoir. Ceux qui ont visité l'Egypte ont vu des monuments importants édifiés avec des techniques sophistiquées, je veux parler des pyramides qui ont duré plus de trois millénaires. Jusqu'aujourd'hui les Européens se demandent encore comment ces savants africains ont construit des édifices, que même les technologies actuelles n'ont pas encore égalés. Ce sont les Africains qui, les premiers, ont commencé l'usage des nombres complexes en mathématiques, que l'on apprend chez nous étant déjà à l'Université. Même ceux qui se sont attribué le monothéisme savent qu'il a commencé en Afrique. Et beaucoup d'autres choses encore.
L'Afrique n'a donc pas été maudite ; elle a des savants, qui ont du génie et qui l'ont prouvé. Elle a besoin d'une remobilisation des peuples pour l'indépendance, une autre indépendance, authentique et pas un conte de fée, par l'installation au pouvoir de dirigeants qui aiment leur pays, qui aiment leur peuple, qui refusent la soumission, qui vivent concrètement leur conviction indépendantiste, qui ont confiance en eux-mêmes.
Il est donc nécessaire que nos peuples, au Burundi, dans les régions limitrophes et dans toute l'Afrique, prennent bien conscience de leurs origines et de leur destination actuelle. Oui, nous venons de très loin : six cents ans que les Africains endurent les régimes esclavagiste et colonial: cela nous a laissé beaucoup de séquelles. C'est pourquoi il est indispensable que notre jeunesse soit formée, tôt, à aimer sa patrie, à aimer les gens et le travail. Il est bon qu'elle connaisse l'histoire, singulièrement celle de l'Afrique, car on lui a enseigné souvent que l'Afrique ne sait rien faire, que rien n'est possible sans le Blanc.
Vous vous souvenez qu'un président d'un pays développé a déclaré un jour, avec beaucoup de condescendance, que l'Afrique n'est pas entrée dans l'histoire. La jeunesse devrait connaître les héros qui ont lutté pour l'indépendance de l'Afrique et du Burundi, pour les prendre en modèle ; elle devrait connaître l'héritage de N'krumah, Nasser, Mandela, Rwagasore, Nyerere, Lumumba, Sankara, Amilcar Cabral, Um Nyobe, Ndadaye, Ben Barka et d'autres. Que c'est cela l'avenir du Burundi et de l'Afrique. Si les jeunes connaissent leurs origines, ils fraterniseront davantage avec leurs pairs, même avec les jeunes européens dont certains de leurs pères et grands-pères ont causé les torts évoqués.
Car, l'autre fait essentiel sur quoi nous devons insister ce jour, est que la connaissance du passé, du combat de nos ancêtres pour se libérer de l'oppresseur, n'incite pas à la vengeance. Il s'agit plutôt d'une critique des aspects négatifs du passé, pour pouvoir construire des valeurs positives, avec ceux qui veulent, les amis européens et les autres. Aujourd'hui, avec les progrès spectaculaires de la science, la terre est comme un seul petit village. L'indépendance nous permet à tous de cohabiter pacifiquement et dans le respect mutuel. Sinon nous demeurerons comme des animaux sauvages, qui s'entre dévorent pour ne laisser subsister que le plus fort. C'est donc indispensable que les jeunes, les Africains, se connaissent, se fréquentent, d'où la nécessité d'apprendre et de comprendre, dès l'école primaire, nos langues telles que le Swahili, l'Arabe, qui vont les aider à mieux se connaître.
La deuxième indépendance sera possible encore, s'il y a des associations et des partis politiques progressistes, formés par des militants conscients de la nécessité de l'indépendance au lieu de demeurer des « béni oui oui ». Ces partis devraient alors former une alliance des partis luttant pour l'indépendance véritable, la renaissance de l'Afrique. Si cela est réalisé, les prochaines années émergeront beaucoup de pouvoirs désireux d'être indépendants, car un seul régime, solitaire, sera vite écrasé et mis sous embargo, comme ce fut le cas pour Sankara ou pour Cuba. Le Burundi est certes un petit pays, mais ce n'est pas un rien. Il peut servir de phare aux régions limitrophes, surtout si nous sommes associés et renforçons nos relations. Mais commençons d'abord par nous convaincre de la nécessité de l'indépendance et par vivre conformément à cet idéal avant de renforcer les autres.
Sachons toujours que la dignité se conquiert, qu'elle n'est pas offerte sur un plateau d'argent, que tout se conquiert par la lutte.
Vive le droit véritable à l'indépendance du Burundi et de l'Afrique.
Léonard NYANGOMA
Président du CNDD