Au mois écoulé d'avril, mois appelé Ndamikiza (signifiant que dans l'impossibilité de traverser les rivières toujours pleines, on saluait les gens à distance ou on envoyait un bonjour à des amis ou des parents par personnes interposées), au cours de ce mois donc, heureux celui qui aura vu une goutte de pluie tomber sur notre belle république devenue par la force des choses bananière et gondwanaise. Du rarement vue. La météo nous avait pourtant promis des pluies abondantes. Elle avait prédit au mois de janvier qu'il pleuvrait jusqu'à la fin du mois de mai. Depuis ces prévisions optimistes, les agriculteurs ont labouré comme d'habitude la conscience toute tranquille comme quoi tout allait aller bien comme dans le meilleur des mondes possibles (Bonjour Pangloss). Depuis la pluie n'a cessé de jouer aux caprices, les plus enfantines comme les plus terrifiantes. Jusqu'à nous produire la catastrophe dont les gens de Gatunguru et Gasenyi gardent un très mauvais souvenir. Jamais de mémoire d'homme les gens de la localité n'avaient assisté à un désastre d'une telle ampleur causée par la pluie. Pour certains, il s'agissait d'un signe de fin d'un régime, surtout que les eaux ont emporté un symbole fort : les terrains où le pouvoir prévoyait bâtir la présidence de la République. Depuis que des eaux et des pierres ont déferlées sur ces localités, la pluie n'a plus plu régulièrement.
A l'intérieur du pays, surtout à Bururi qui m'a vu naître, les agriculteurs affichaient de larges sourires au début de ce mois d'avril, tellement les champs de haricots promettaient une récolte impressionnante. Depuis que le mois d'avril s'est évaporé sans une goutte de pluie c'est l'angoisse. La peur. C'est la mort, car les premières victimes sont déjà tombées à Kirundo, ancien grenier du pays. Des familles entières ont déjà fui leur localité. Peut être que le phénomène ne frappe pas seulement le Burundi. Mais les conséquences seront, à coup sûr, différemment ressenties pour au moins une raison : le pouvoir est inconscient de l'ampleur du désastre. Dans des régimes sérieux, une sonnette d'alarme aurait déjà été lancée. Que fait donc le département chargé de la prévention des risques? Rien à ce propos. Il attend que la catastrophe survienne pour que le gouvernement s'agite, distribue deux à trois grains de haricots ou de maïs, parfois sur des bases politiquement discriminatoire, le tout enveloppé dans un discours militant et d'une propagande éhontée. La sécheresse qui frape le pays a déjà fait et fera des victimes certes. Le pouvoir ne restera pas indemne. Car ses échecs répétés, ces catastrophes successives, ces miliciens dont la gloire dépasse le cadre de nos frontières puisqu'ils opèrent en dehors d'elles, cette chasse à l'homme qui rappelle les périodes les plus sombres de notre histoire, cette peur bleue d'une opposition pourtant laminée et mise en coupes réglées, cette peur en l'électeur affichée par le pouvoir à une année des élections générales, tout cela constituent des signes prémonitoires d'un régime qui va mal se terminer. Tout le monde le voit, tu le monde le sait, tout le monde a peur. Même la pluie a peur. C'est pourquoi, dit-on, elle aurait fui nos villes et nos collines. La nature a été effrayée par le régime.