vendredi, 28 mars 2014 13:05 Écrit par 

De la violence politique à la tentation du pire ou quand le CNDD-FDD nourrit les Démons

Quand les miliciens pourchassent les policiers, sur qui pouvons-nous encore compter ?

Introduction

A première vue le gouvernement de Pierre Nkurunziza, correspond à la définition de Max Weber : il revendique avec succès le monopole de la violence physique1. Avec cette différence que l'écrivain ajoute : « violence physique légitime », alors que celle de ce gouvernement est portée vers les extrêmes les plus éloignés de la légitimité. Mais pourquoi en est-il arrivé là ? Quels sont les autres piliers sur lesquels le pouvoir d'Etat devrait pouvoir s'appuyer sans devoir user de brutalité ? Pourquoi sommes-nous fondés à penser que ce régime qui campe dans la violence tyrannique, est en train de nourrir les pires démons ?

Des piliers de l'Etat

Trois piliers confortent normalement l'Etat moderne. Le pilier idéologique, qui fonctionne à la persuasion, sert à forger, conditionner, voire manipuler l'opinion des citoyens, pour la rendre favorable au gouvernement, la faire adhérer à sa vision du monde, son projet de société, son programme de gouvernement, ainsi qu'à sa politique. Dans ce rôle interviennent les partis politiques proches du gouvernement, ses médias, son école, les églises, les manifestations festives, certaines œuvres d'art, une partie de la littérature etc. Mais il y a aussi le pilier coercitif qui fonctionne à la violence : armée, police, gendarmerie, lois, prisons. Ces services exercent une coercition pour obliger les citoyens à exécuter la volonté de l'Etat. Dans le cas du CNDD-FDD s'ajoute la milice Imbonerakure. L'autre pilier de l'Etat, c'est l'appareil administratif, qui fonctionne au consentement relatif. Il assure l'échange entre l'Etat et les citoyens. Ceux-ci concèdent à l'Etat l'obéissance et les impôts, et celui-ci est censé leur assurer les prestations des services publics dont la sécurité, les infrastructures, la santé, l'éducation, la justice etc.

De la violence comme signe de faiblesse, de manque d'empathie et de haine du peuple

Un Etat démocratique, issu de la volonté du peuple, est au service de celui-ci. Ses appareils de coercition sont dirigés contre les ennemis extérieurs ou contre ceux qui enfreignent les lois démocratiques et non contre l'exercice légitime des libertés démocratiques comme l'association, les réunions, les manifestations et l'expression des opinions.
Or force est de constater que les forces de sécurité du gouvernement de Nkurunziza s'illustrent dans la répression et le déni des droits. L'actualité en apporte de tristes illustrations2. Si l'on en est arrivé là, c'est que le pacte républicain est mis à mal et que ni la persuasion ni le consentement ne peuvent plus être réellement effectifs. Ne pouvant convaincre les Burundais qu'il fait bien ce qu'il est censé faire, le gouvernement, en butte à la défiance d'une portion importante des citoyens, fait appel à la répression et à la violence généralisée : juridique et judiciaire, administrative, économique, policière et politique3. La violence est politique quand elle est actionnée par des hommes politiques, par des groupes de pression, ou des organes publics à des fins politiques. « Rien n'est a priori politique et tout peut être a posteriori politique. Une mesure technique isolée, non intégrée dans un projet politique, n'est à l'évidence pas politique. Une politique, en revanche, est composée d'une multitude de décisions techniques mises en perspectives. Rien n'est politique par nature et tout peut le devenir lorsqu'une conscience politique le guide4. » En l'occurrence, le parti au pouvoir entend réduire l'opposition au silence, l'empêcher de se réunir, de s'organiser, de rencontrer les populations, bref, d'exister politiquement et de constituer une menace comme concurrent politique.
Cette conduite du parti au pouvoir est le signe d'un divorce profond entre le pouvoir et le peuple5: en effet, s'il était sûr d'être dans le droit chemin, de mener une bonne politique, d'être populaire et majoritaire, il n'aurait pas besoin d'être agressif et brutal face au moindre désaccord manifesté par l'un ou l'autre segment de la société. Et l'un des vices majeurs de ce gouvernement est l'absence d'empathie pour le peuple, pour toutes ses composantes dans leur diversité.
La gestion de la question des terres par la CNTB est l'un des indicateurs de cette froideur qui frise la méchanceté. Sans doute fallait-il rendre aux uns leurs terres dont ils ont été illégalement ou illégitimement spoliés, sans doute fallait-il rendre aux autres leurs maisons, leurs biens etc., injustement accaparés par d'autres, soit directement, soit indirectement par cession de l'Etat. Il fallait que justice soit faite. Mais ce qui a manqué, c'est la hauteur, l'esprit d'humanité, le patriotisme. L'Accord d'Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi, du 28 août 2000, prévoyait un certain nombre de dispositions destinées à amortir les chocs qui n'allaient pas manquer de survenir lors de cette restitution6. Tenir compte des acquéreurs de bonne foi des terres et des biens ; des descendants innocents qui ont hérité et profité d'une situation injuste mais qui n'en sont pas responsables et ne méritent pas de souffrir ; éviter de créer des détresses inutiles même chez ceux qui, par le passé ont pu commettre des fautes, voire des crimes ; prévenir les frictions et les tensions dues aux rancœurs plongeant leurs racines dans un passé douloureux, etc. L'absence de mesures d'accompagnement trahit une indifférence coupable, une arrière-pensée de vengeance ou de publicité à connotation ethniques. Jeter dans la rue une famille burundaise pour rendre justice à une autre, sans préparation, sans mesure d'accompagnement peut être cruel et inhumain. Vengeance n'est pas justice.
La valeur d'un pouvoir se révèle non seulement dans sa façon de rendre justice à ceux qui ont raison, mais aussi dans sa façon de faire face à l'adversité. Face aux critiques, aux contestations, aux manifestations, le pouvoir démocratique écoute, observe attentivement pour tirer des leçons, faire l'autocritique, rectifier le tir. Il cherche comment gagner les cœurs des citoyens par l'explication des difficultés et, le cas échéant par la satisfaction de leurs besoins. Le pouvoir tyrannique par contre s'irrite, trouve que le peuple est ingrat, injuste, et cherche les moyens de le punir, de le réprimer et de le contraindre à se soumettre à sa volonté. Machiavel, un des théoriciens de la dictature d'Etat, nourrissait ce pessimisme envers le peuple en ces termes : «...quiconque veut fonder un État et lui donner des lois doit supposer d'avance les hommes méchants, et toujours prêts à montrer leur méchanceté toutes les fois qu'ils en trouveront l'occasion7». Les régimes tyranniques détestent le peuple et cherchent à le mater. Pour cela ils dressent contre lui la police, la poussent à le matraquer, le disperser, le réprimer. Au Burundi, la police officielle se voit doublée de supplétifs, de miliciens, une sorte de mercenaires, qui n'obéissent à aucune règle et sont prêts, moyennant quelques sous et une doctrine sommaire, à semer la mort et la désolation.

L'indexation comme signe d'affolement

En même temps ces régimes cherchent au sein du peuple des boucs émissaires, des moutons noirs qui sont désignés comme la source de tous les maux. Contre eux on excite la haine et la colère, on mobilise le passé, on invoque l'histoire, on rappelle les vieilles querelles. Les régimes qui ont peur de perdre sèment partout la peur, créent des polarisations factices : l'étranger, l'autre, le barbare, l'inhumain. Ils présentent leur fin possible comme la fin du monde, la fin de tous. Ils veulent précipiter tout le monde dans l'apocalypse. Depuis que la crise a éclaté au sein du parti présidentiel et que des démissions ont été enregistrées en cascade ; quand le parti a perdu la majorité qualifiée pour faire passer des lois, il a subi un traumatisme qui l'a rendu sauvagement agressif : massacres, radiation illégale de députés, invention de faux complots, emprisonnements sans motifs avérés, assassinats, tortures etc. ; et d'illégalité en illégalité, il ne recule plus devant rien. Il est dans une détresse obsidionale, où tout opposant est un méchant criminel à traquer et à éliminer. Comme une bête blessée et cernée, le pouvoir a déjà désigné sa cible : les opposants avec comme nom commun, les insurgés : Bamvuginyumvira est un insurgé, l'ADC-IKIBIRI c'est l'insurrection, les manifestations pour réclamer un espace d'expression politique c'est de l'insurrection, se réunir pour un parti, c'est comploter, trois étudiants réunis sur leur colline et qui discutent, ce sont des insurgés ; des syndicalistes qui revendiquent des droits sont des insurgés. Tous méritent au moins la perpétuité, au mieux la mort ! Rien de moins ! Pour comprendre cette psychologie d'assiégé, il faut considérer les crimes commis par ce régime : les barons au pouvoir savent que s'ils perdent le pouvoir, ils sont bons, qui pour Mpimba, qui pour La Haye en passant par un TPI. Considérer aussi l'incapacité pour eux de vivre sans dominer, sans commander, écraser, spolier, détourner...Ajouter à cela l'illusion de la puissance. Car le CNDD-FDD croit qu'il maîtrise la situation : il n'a pas le consentement, certes, mais il s'en f...Il écrasera les insurgés.

Le CNDD-FDD de Nkurunziza est prêt à massacrer

Quand un régime politique sombre dans la folie, le pire est possible si l'on ne dresse pas des défenses fortes. Tous les protagonistes, les acteurs politiques, les partenaires au développement, les acteurs de la société civile doivent le savoir : le CNDD-FDD de Nkurunziza est prêt à massacrer : comme une bête traquée, acculée, il est prêt à lancer ses miliciens sur les « insurgés », les ennemis du peuple, les antidémocrates, les nostalgiques du passé, les sectateurs d'Arusha, etc. Pour cela, ses milices quadrillent le pays. Certains entrevoient les signes avant-coureurs d'un génocide8. Le devoir des partis démocrates, des activistes de la société civile, des intellectuels, des guides religieux est d'expliquer à leurs adhérents, leur public, leurs fidèles, leurs lecteurs etc. que l'heure est grave car le régime a perdu le bon sens. Leur expliquer la nature des problèmes du pays, qui ne sont ni d'ordre ethnique, régional ou confessionnel. Mais quelles défenses dresser contre le pire ? Comment ouvrir la voie à la démocratie pluraliste sans provoquer la réaction hystérique et meurtrière de « La Bête » ?
Il existe sans doute au sein du parti présidentiel, des gens de bon sens. Ils devraient surmonter leur peur pour dissuader Nkurunziza de précipiter le pays dans le gouffre par son ambition. Et avancer un autre candidat pour 2015. Il faudrait aussi désamorcer la bombe Imbonerakure : tarir leurs ressources, les renvoyer purement et simplement à la vie normale. Car : « une fois que les chiens de guerre sont lâchés, qui pourrait dire où cela va mener ? » Celui qui finance cette milice finance « la Bête » et en répondra devant l'histoire si jamais le pire arrive.
Quant à l'opposition, elle devrait serrer les rangs, rester déterminée et ne pas renoncer à se réunir, à manifester, à réclamer ses droits, car la liberté ne se donnera pas, surtout pas à ceux qui veulent et la liberté et le pouvoir.
En fin de compte, quelle est la menace qui fait peur au CNDD-FDD ? Un coup d'Etat ? Une défaite électorale ? Une insurrection populaire ? Une agression extérieure ayant des relais internes ? Laquelle indique-t-il lui-même ? Une insurrection populaire. Mais un régime populaire peut-il craindre une insurrection populaire ? Sans doute non. Et qui, jamais, est venu à bout d'une réelle insurrection ? « Un couteau trop aiguisé déchire son étui », dit un proverbe africain. Chaque jour, le régime Nkurunziza multiplie ses ennemis, tel un insensé qui scie la branche sur laquelle il est assis. Le vice du parti au pouvoir qui finira par le perdre, c'est son refus entêté de laisser l'espace d'expression à l'opposition.
Deux choses pourtant suffiraient pour éviter le pire : laisser l'opposition jouir jusqu'au bout de ses droits civils et politiques et dissoudre la milice Imbonerakure. Sinon une horrible réalité nous attend.
« La réalité, dit Hannah Arendt, a cette habitude déconcertante de nous mettre en présence de l'inattendu, auquel nous n'étions nullement préparés9».

 

  1. Max Weber conçoit l'Etat comme « une communauté humaine qui, dans les limites d'un territoire déterminé ... revendique avec succès pour son propre compte le monopole de la violence physique légitime. ». Voir Le Savant et le politique, Paris, Plon, 1959.
  2.  Suite à une manifestation pour réclamer plus d'espace de liberté, des manifestants de l'opposition ont été jugés de façon expéditive et condamnés à des peines lourdes allant de 10 ans de prison à la perpétuité. Pour avoir protesté contre des mesures de suppression des bourses, les étudiants ont été renvoyés, soumis au chantage inacceptable de s'engager à renoncer à tout mouvement de grève pour avoir le droit de se réinscrire, et leurs représentants élus ont été exclus de l'université pendant deux ans !
  3. « ... nous entendrons par politique l'ensemble des efforts que l'on fait en vue de participer au pouvoir ou d'influencer la répartition du pouvoir, soit entre les États, soit entre les divers groupes à l'intérieur d'un même État » Weber, op.cit, Idem.
  4. TENZER Nicolas, La politique, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1991, p.117.
  5. Le régime vient d'essuyer un camouflet lors de sa tentative de modifier la constitution du Burundi, ce vendredi 21 mars 2014
  6. Le protocole IV relatif à la reconstruction et au développement stipule en son article 8 :
    a. « Une indemnisation juste et équitable en fonction des circonstances est versée en cas d'expropriation, laquelle n'est autorisée que dans l'intérêt de la collectivité et conformément à la loi, qui fixe également le mode d'indemnisation. b. Tout réfugié et/ou sinistré doit pouvoir récupérer ses biens, notamment sa terre...k. La sous-commission des terres doit... toujours rester consciente du fait que l'objectif est non seulement la restitution de leurs biens aux rapatriés, mais aussi la réconciliation entre les groupes ainsi que la paix dans le pays » L'article 9 dispose : « Il est créé un Fonds national pour les sinistrés alimenté par le budget national et par des dons d'organismes de coopération bilatérale et multilatérale ou par des aides d'organisations non gouvernementales. »
  7. Machiavel, Discours sur la Première Décade de Tite-Live
  8. Le 6 février 2014, Léonce Ngendakumana, adressait, pour le compte de l'ADC-IKIBIRI dont il est le président, une lettre dans laquelle il écrit notamment : « En effet, le plan SAFISHA qui veut dire NETTOYER, la création d'une milice IMBONERAKURE à l'instar des INTERAHAMWE au RWANDA, la radio REMA FM du CNDD-FDD qui véhicule des enseignements similaires à ceux de la Radio mille Collines du RWANDA, la manipulation du pouvoir CNDD-FDD par une petite poignée de gens comme au RWANDA sous le règne de Juvénal HABYARIMANA, l'exploitation de la corde ethnique à des fins propagandistes constituent des témoignages assez éloquents de ce drame en perspective et risquent de déboucher sur un génocide politico- ethnique au Burundi ».
  9. Hannah Arendt, Du mensonge à la violence, tr. Fr. Guy Durand, Pocket, 1994, p. 10.

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