Et de poursuivre : "Le Président ne réagit que lorsque le scandale est public. Il demande alors à X de lui faire un rapport - dont il ne tient pas compte : il dit que X dit du mal de celui qui est accusé de corruption parce qu''il en est jaloux'. Alors que tout le monde sait que l'argent est parti. En général, quand il y a beaucoup de fonds en jeu, on ne suit pas les structures de l'Etat mais on dépend directement de la Présidence."
"La corruption a changé , nous dit, de son côté, une source des milieux d'affaires. Ces dernières années, le plus souvent, 'ils' veulent des parts dans des entreprises, sans les payer - mais en touchant les dividendes. C'est partout comme ça. A chaque fois, ce sont des envoyés de la Présidence qui viennent faire ces demandes. Telle entreprise, qui a gagné un marché il y a plusieurs années, attend toujours de pouvoir conclure l'affaire : comme elle ne satisfait pas aux demandes de pots-de-vin, on lui met sans cesse des bâtons dans les roues et on annonce que le marché va passer à un autre groupe." "La grosse corruption vient du sommet de l'Etat , ajoute-t-il, et, de là, se répand partout." "Le problème, c'est que la corruption atteint de telles proportions que les investisseurs étrangers ne viennent plus."
L'argent du contingent en Somalie
De nombreux Burundais citent des affaires de corruption où sont impliquées les autorités - et ce sont toujours les mêmes noms qui sont cités.
"La construction d'infrastructures publiques est très utilisée pour blanchir de l'argent mal acquis. On voit ainsi des gens dont le salaire ne leur permet pas de posséder plus d'un million de FBu (1) d'épargne, mettre 15 ou 20 millions dans une affaire , poursuit notre interlocuteur. Bujumbura est pleine d'autos à 90 000 euros; il y a plus d'argent dans leurs voitures que pour les routes !"
"Quand quelqu'un, au sein du parti, dénonce une affaire de corruption touchant un cadre CNDD-FDD, jamais il n'y a d'enquête sur l'enrichissement inexpliqué des nouveaux riches , dit un élu du parti présidentiel , mais celui qui a dénoncé est marginalisé."
Nombre de nos interlocuteurs au Burundi nous ont cité des cas. Ainsi, les 39 milliards de FBu/an (2) payés pour le contingent burundais au sein de l'Amisom (Mission de l'Union africaine en Somalie) n'apparaissent nulle part dans le budget national - ni ailleurs. Il n'y a pas une seule laiterie au Burundi, ce qui oblige à importer le lait, mais de nombreux élus possèdent des hôtels; car un hôtel est un investissement, exonéré de taxes, ce qui permet d'importer par exemple cinq véhicules sans droits de douane, que l'on revend ensuite. Un grand nombre de compagnies de téléphone ont des fréquences, mais l'une d'entre elles, étrangère, bénéficie de conditions nettement meilleures que les autres.
Le premier propriétaire terrien
"La corruption est un mal extrêmement grave dans le pays , confirme Me Prosper Niyoyankana, de l'Olucome (Observatoire de lutte contre la corruption et les malversations économiques), dont le vice-président a été assassiné il y a six ans. Et ses initiateurs sont au sommet de l'Etat."
Et de citer les mêmes trois noms, parmi lesquels figure celui qui est, selon plusieurs sources, "le premier propriétaire terrien du pays" - partiellement par hommes de paille interposés - et le possesseur d'une société d'importation exemptée de droits de douane, d'une brasserie à Ngozi ( "si vous organisez une activité publique à Ngozi sans y servir l'eau vendue par cette brasserie, le Service national de renseignement vous harcèle" ), d'une concession de nickel, d'un dépôt pour matériel de construction destiné aux écoles et centres de santé construits par la population sous le patronage du Président.
"Les personnalités du CNDD-FDD jugées finissent toutes par être acquittées , assure Me Niyoyankana. Seuls les auteurs des petits détournements - de 2,5 ou 5, maximum 15 millions de FBu - restent aux mains de la Justice. Dans les affaires concernant des milliards de FBu, l'accusé n'est pas condamné."