De l'impossibilité d'aller aux élections
Les élections législatives et communales, sont prévues pour le 26 mai prochain. Cependant, des raisons empêchent d'espérer aller aux élections selon le calendrier décliné par la CENI.
La première est l'insécurité provoquée par les milices Imbonerakure, qui poussent des dizaines de milliers de Burundais à fuir vers les pays limitrophes. Ce phénomène, constamment dénoncé par l'opposition, est devenu flagrant à l'approche des élections et fait comprendre le potentiel de violence que représentent ces milices. Lors de ces élections, elles vont terroriser les citoyens et imposer le choix des candidats du parti présidentiel. Cela d'autant plus qu'ils sont armés et ont des tenues de la police, ce qui entretient une confusion dangereuse.
L'autre raison est que la crise actuelle, faite de désaccords, de manifestations, de répressions par tirs à balles réelles, d'arrestations, d'emprisonnements, de fermeture des médias indépendants etc., n'installe pas un climat de confiance, de sérénité et de motivation nécessaire à une élection.
La troisième raison est le manque de confiance dans l'éthique et le professionnalisme de la CENI et de ses démembrements. Cette commission qui a organisé les élections de 2010, est contestée par l'opposition. Elle est accusée de partialité et de corruption. L'opposition a réclamée, en vain, une CENI consensuelle qui ne soit pas au service d'un camp. Elle est persuadée que le fichier électoral est truqué et qu'une fraude par la terreur et l'informatique a déjà été préparée, pour assure d'avance une victoire écrasante au CNDD-FDD.
La quatrième raison est la Cour Constitutionnelle, une Cour taillée sur mesure pour Nkurunziza. En démissionnant, le vice-président de cette cour, dont il faut saluer le courage et le patriotisme, a dénoncé les pressions et les menaces dont les membres de cette cour ont été l'objet. Cela permet de comprendre le manque de crédibilité de cette institution.
La cinquième raison est l'exclusion structurelle de l'opposition et la fermeture de l'espace politique : tout au long du mandat du CNDD-FDD, l'opposition a été empêchée de tenir des réunions, de circuler dans le pays pour rencontrer ses partisans et expliquer ses projets de société. Certains leaders qui sont des concurrents de Pierre Nkurunziza, comme par exemple Leonard Nyangoma, Président du CNDD, et Alexis Sinduhije, président du MSD, ont été contraints à l'exil, d'autres ont été convoqués par la Justice sous des accusations fabriquées de toutes pièces pour les intimider et les salir aux yeux des populations. Pour accéder à un emploi public, il fallait exhiber la carte du parti présidentiel. Pendant ce temps, les moyens de l'Etat ont été et sont encore utilisés par le parti au pouvoir pour son propre compte. Tout cela n'est pas équitable et n'augure d'aucune impartialité électorale.
De la nécessité d'un dialogue
Le 30 avril 2015, le sous-secrétaire d'Etat américain aux Droits de l'homme, à la démocratie et au travail, Tom Malinowski, envoyé spécialement par le Président américain Barack Obama à Bujumbura, a préconisé le dialogue au cours d'une conférence de presse à Bujumbura. Mais, ceux qui redoutent le dialogue et la transition ont peut-être en mémoire les longues négociations d'Arusha. Pourtant, au Burkina Faso, il a été possible de se mettre rapidement d'accord, sur la durée, la mission et la composition du gouvernement de transition. Un dialogue est nécessaire sur les préoccupations majeures qui divisent les Burundais. Il est nécessaire pour que chacun ne soit pas tenté, en l'absence d'un cadre neutre de discussion, de recourir à la violence pour se faire entendre ou pour accéder à ses droits. Seul il permet la résolution pacifique des différends.
De l'ordre du jour du dialogue
Si le gouvernement actuel refuse le dialogue, celui-ci se fera vraisemblablement sans lui, malgré et contre lui. L'instance ou la coalition qui l'aura évincé pourra être tentée de former unilatéralement son gouvernement et de se donner un cap, mais le mieux serait d'ouvrir des discussions pour que les acteurs politiques fixent ensemble la feuille de route de la transition. Sinon le nouveau pouvoir s'exposera aux mêmes accusations de dictature.
Pour éviter l'enlisement et les discussions interminables, l'ordre du jour devrait porter sur des questions essentielles, qu'on peut régler à court terme, et qui conditionnent la mise en place d'institutions légitimes définitives. La réalisation de la feuille de route serait confiée au gouvernement et aux autres institutions de transition.
De la feuille de route des institutions de transition
En principe, chaque institution devra avoir ses missions. Il s'agirait de décliner les missions qui devraient absolument être accomplies pour rendre possible la mise en place d'institutions légitimes définitives. Les éléments suivants pourraient être pris en compte :
- Réaliser un plan d'urgence contre la faim, la pauvreté et le chômage
- Faire un audit sur la corruption et ses conséquences sur l'économie nationale et proposer des solutions pratiques
- Organiser un dialogue inclusif sur les textes de lois controversés
- Rechercher un accord sur les questions électorales notamment l'usage efficient de la biométrie, sur la loi électorale, la commission électorale dont les conditions d'impartialité et d'indépendance devraient être minutieusement étudiées, le fichier électoral, la carte nationale d'identité biométrique, le rôle de la cour constitutionnelle en matière électorale, etc.
- Elaborer et appliquer un plan de dissolution, de désarmement et de réinsertion de toute milice, singulièrement les Imbonerakure.
- La réforme profonde de la surêté nationale ;
- Créer les conditions légales, sécuritaires et matérielles du retour des leaders politiques contraints à l'exil et libérer tous les prisonniers politiques et d'opinion.
- Restituer le leadership des partis politiques à ceux à qui il revenait légalement avant l'opération de division initiée par le ministère de l'intérieur.
- Réaliser un recensement général, bien orienté, de la population burundaise permettant une cartographie socio-économique du pays.
- Réhabiliter et garantir toutes les libertés civiques
- Créer les conditions d'une justice transitionnelle réelle en vue de mettre fin à l'impunité et revoir la commission Vérité et réconciliation.
- Amender la constitution à partir des éléments de consensus obtenus et la soumettre à un référendum populaire.
- Organiser des élections justes, libres, inclusives, apaisées et démocratiques avec des observateurs internationaux.
Conclusion : Attention aux ingérences.
La situation qui prévaut dans notre pays le fragilise au plus haut point. Elle interpelle la classe politique burundaise ; qui doit être vigilante pour ne pas ouvrir la porte à des ingérences extérieures qui risqueraient de compliquer le problème. L'intervention d'un pays voisin dans la crise burundaise risquerait d'être exploitée par le régime Nkurunziza et n'arrangerait guère les choses. Les Burundais, qui font preuve d'unité dans le combat contre l'illégalité et la dictature, peuvent s'en sortir, et doivent se méfier des soi-disant sauveurs qui viendraient appliquer leur propre agenda.