Le journaliste est aujourd'hui sous le choc, sa voix tremble, il marche à peine, il titube. Il garde le lit. Le moral de ce reporter passionné est au plus bas. Son annulaire de la main gauche est fracturé, il vient d'ailleurs de subir une opération chirurgicale. Son œil droit est sérieusement touché. «J'ai des douleurs un peu partout»
Son calvaire commence quelques minutes après son arrivée sur les lieux du drame. Il raconte «Il est presque 9 heures et demie, je parviens à me frayer un passage jusqu'à la Gare du Nord. Ma carte de presse bien estampillée ''RFI'' me permet de franchir, non sans difficultés, deux barrages faits de policiers et d'agents du SNR en civil.»
Selon Esdras Ndikumana, il y a trop de monde, les gens sont nerveux, il y a de l'électricité dans l'air. Tout est mélangé, un véritable ''melting pot'' fait de militaires, de civiles, de policiers, d'agents des services secrets gouvernementaux, de jeunes Imbonerakure, des députés, des ténors du parti au pouvoir, des hauts dignitaires et les badauds.
La situation est tendue. « Pas d'images ! », vocifère un homme que je ne parviens pas à identifier. Probablement quelqu'un du SNR. Il opte pour la sagesse mais le journaliste a « quelques démangeaisons. »
L'heure est grave. « Quand je vois mes confrères de la RTNB filmer, moi aussi je me mets vite à prendre des images. » Quelques flashes il est sommé d'arrêter, d'effacer même les quelques photos prises. Il proteste et explique qu'il faut un même traitement pour tous les journalistes présents. «Mais plusieurs personnes ameutées par les discussions, me traitent à l'unisson d'''ennemi de la nation'' ».
Sidéré, il leur rétorque qu'il n'est qu'un simple journaliste tout en appelant à témoins les hauts dignitaires présents, dont Willy Nyamitwe, le conseiller principal du président chargé de la communication.
Les gens littéralement très remontés contre lui ne veulent même pas écouter ses explications. «Tu n'as rien à dire, vous venez de tuer Adolphe», accusent-ils. Il leur dit que c'est de l'amalgame. « Ils me retirent sans ménagement mon matériel et là je réalise que c'est fini. »
La descente aux enfers commence
C'est l'arrestation, il appelle Willy à la rescousse. Il est à 5 mètres de lui. Il le tranquillise et lui dit que c'est deux fois rien : «Ils vont te poser quelques questions, c'est tout.» Mais il insiste et lui dit que les choses risquent de mal tourner.
Le type qui s'acharne contre lui fait des navettes entre les grosses pointures du SNR sur place. Il cherche leur aval. Il finit par avoir le feu vert puisqu'il l'embarque.
Au départ, il l'invite à prendre place dans la cabine d'un pick up ''affrété'' pour lui mais change d'avis avec ses complices. Ils désignent du doigt l'arrière du véhicule au milieu de deux rangées de policiers.
Pendant le trajet, ils l'obligent à se mettre à plat ventre, face contre terre. Des coups de pieds et probablement de crosses pleuvent. Un autre pick up suit à distance. Quand il débarque au SNR, tout tremblant et transis de peur, il aperçoit six personnes dont une femme en survêtement qui se font tabasser, les hommes ont leurs pantalons baissés. « Je n'en crois pas mes yeux. Et je ne sais pas ce qui m'attend.»
Quand ces ''tortionnaires'' le voient, ils viennent tous en renfort et se ruent sur lui. Pour commencer, il reçoit 15 coups de bâtons, bien comptés, aussi musclés que méchants. « Ils me répètent à chaque coup que je suis un ''ennemi de la nation''». Ils finissent par lui demander d'enlever son pantalon et ses chaussures pour plus d'impact et de souffrance.
Ils répètent alors la bastonnade avec divers objets contondants après avoir confisqué son porte-monnaie, sa montre, sa chaînette en or. J'ai l'impression qu'ils m'arrachent la peau. « C'est quand ils décident de me prendre mon alliance que la situation se complique. Je leur dis qu'ils peuvent tout prendre sauf mon alliance. »
Là, ils redoublent d'ardeur: les coups de bâtons, de gifles, de pieds et de genoux pleuvent. Son dos, ses jambes, ses côtes, la plante des pieds, tous reçoivent leur lot. L'un d'eux lui frappe à plusieurs reprises sur la main et lui casse le doigt pour s'emparer de cette bague.
Ces tortionnaires ne s'arrêteront que quand le chargé de la documentation intérieure le convoque, sous un arbre. Je me suis traîné jusqu'à lui et tout ce qu'il trouvera à me dire c'est ''Pole !'' (Un terme de réconfort signifiant ''je compatis mais je suis désolé'') «Tu pouvais même y passer ! Tu peux rentrer. Si je dresse un procès verbal, tu risques de rester, à toi de choisir», lui lance-t-il avec ironie.
Entre temps sa femme l'attendait dehors avec ses cachets pour calmer son hypertension. «A un certain moment, j'ai cru que son cœur allait lâcher.»
Avec soupir, il lâche : «Une chose est sûre, l'ordre de m'arrêter est venu des officiers présents sur les lieux de l'attentat. Il n'y avait plus grand'chose à voir, il n'y avait que du sang par terre, sur le siège du pick up du Général. La dépouille était déjà évacuée.»
Long silence. Esdras Ndikumana se tord de douleur. «De l'emprisonnement des journalistes, c'est aujourd'hui le passage à tabac, nous pouvons maintenant deviner la suite.»
Source:http://www.iwacu-burundi.org/la-passion-desdras-ndikumana/