jeudi, 08 mai 2014 19:28 Écrit par  Fulgence Buhiri

Le cauchemar de recevoir une nouvelle carte d’identité après avoir perdu la première.

Il ne s'agit pas une fiction. C'est authentique. Il s'agit des déboires d'un homme qui a eu la malchance de perdre sa pièce d'identité et qui s'est trouvé coincé dans le disfonctionnement d'une administration burundaise moribonde. Une expérience vécue donc.*

Tout part de la disparition de mon téléphone portable. Volé ou perdu, je n'en sais rien. Il est question de le remplacer, tout engardant mon ancien numéro. L'achat d'un nouveau portable se fit sans problème. Je me présente chez Léo pour la carte SIM, convaincu que c'est une affaire de quelques minutes, puisque j'avais déjà mon identification (ma photo, ma carte d'identité, mon numéro de téléphone) à la maison centrale de l'entreprise, comme le recommande le gouvernement.

Pas de CNI, pas de carte SIM

Je me présente donc au premier guichet pour payer les 800 FBU, une sorte de punition pour avoir perdu son propre bien. Je me mets en rang car je ne suis pas le seul à attendre ce service. Plusieurs minutes d'attente pour constater que la réceptionniste n'est pas à sa place. Elle n'est pas là. Elles sont normalement à deux. Je quitte la première rangée pour m'aligner à la deuxième. Quand mon tour vient, je paie dans l'espoir que la nouvelle carte me sera servie dans quelques minutes. Je passe donc à l'étape suivante. Pour ceux qui ne le sauraient pas, en plus du coût que l'on doit naturellement assurer, la réception d'une carte SIM est conditionnée par : un enregistrement de sa photo, sa carte nationale d'identité(CNI), son lieu de résidence et son numéro de téléphone. Etant donné que ce n'était pas la toute première fois que je recevais cette carte, que je connaissais le numéro de ma carte nationale d'identité, que mon identification corporelle se ferait sans problème, ma photo y étant déjà enregistrée, je pensais que tout marcherait comme sur des roulettes. Arrivé au second guichet, l'on me demande ma carte d'identité que j'avais perdue avec le téléphone. J'explique ma cocasse situation. ''Pas de carte d'identité, pas d'activation de votre numéro'', entends-je dire sans manière. Je m'évertuais pourtant d'expliquer à mon vis-à-vis que mon identification est déjà là dans la machine en face de lui, mais rien n'y fit. Je regagnai mon bureau, car j'avais demandé une courte permission de sortie.

2000 FBU pour la commune, 500 FBU pour la mairie, payables à la banque

Le lendemain, je décidai alors de me lancer derrière la CNI à la commune. J'y arrive très tôt, mais plusieurs avaient été plus matinaux que moi. Il faut payer Monsieur : ''2000 pour le développement communal, et 500 pour la mairie'', me dit la secrétaire. Je dirigeais la main dans ma poche pour prendre l'argent, quand la secrétaire stoppa mon geste : '' non tu ne paies pas ici, tu vas à la banque X où la commune a un compte. Deux comptes d'ailleurs, un pour la mairie, l'autre pour la commune'', précise-t-elle. Je courus vers la dite banque. Je trouvai une queue de personnes en attente. Je me mis à la queue. J'y passai près d'une heure. Deux comptoirs étaient ouverts, mais un ne fonctionnait pas, malgré que la receveuse-donneuse des billets fût là, en train de tourner les pouces. Je regagnai triomphalement la commune convaincu d'être à bout de ma peine avec les récépissés de payement entre mes mains.

Exigence d'une photocopie d'une CNI que l'on a perdu

Arrivé dans les bureaux de la commune où je présente les preuves de payements, la brave secrétaire communale me demande une photocopie de ma CNI. A défaut dit-elle, il faudrait un autre document officiel dîment signé comme une attestation d'identité complète ou celle de bonne conduite, vie et moeurs. Je constate, et vous avec moi, l'impossibilité d'avoir d'une photocopie d'un document que l'on a perdu, à moins que l'on ait eu le réflexe d'en faire une, ce qui n'était pas mon cas. Or, il est impossible d'avoir ces attestations sans CNI. Je lui dis que je n'en avais pas. Une discussion s'engage. Elle tourne même au drame, tellement l'incompréhension est totale : moi, outré par tant de tracasserie, et elle vexée d'avoir été affrontée de face, tout devient manifestement compliqué. Un inconnu, portant l'uniforme du parti CNDD-FDD vient à la rescousse, en offrant une alternative. Il me demande d'abord si la carte que j'ai perdue, je l'avais demandée en prévision des dernières élections de 2010. Je réponds par l'affirmative. Il me propose une issue que je trouve plutôt saugrenue : aller à une banque où j'ai un compte, et demander une copie de mon identité ou une confirmation que j'ai un compte ou quelque chose de ce genre. Je demande alors à la secrétaire si la proposition venant du militant est valable. Défiante, elle me fait remarquer ma naïveté d'écouter n'importe qui, question de me prouver qu'elle, et elle seule avait raison. J'adopte alors le profil bas, ayant pris conscience que la secrétaire est incontournable, et qu'il faut donc l'avoir toujours de son côté. Je fais donc semblant de lui donner raison. Je ne compris même pas le zèle dont le militant venait de faire preuve, tout comme je ne compris pas le lien qu'il faisait entre ma CNI et les élections. J'avais commencé les opérations le matin, après une permission d'une heure de mon chef de service, et midi sonna sans espoir d'avoir une carte, car toutes les voies se refermaient. Je regagnais le boulot dans l'après-midi. Mais dans l'entretemps, je m'offris une sieste courte et méritée à la maison, qui me permit de ruminer mes déboires et de réfléchir à une solution de sortie. Tout d'un coup, l'idée me vint de fouiller dans certains de mes papiers. Je tombai triomphalement sur une attestation d'identité originale conservée lors de ma quête d'emploi. Je me levai et débarbouillai le visage et hop ! à la commune à la recherche de la CNI tant rêvée.

D'une secrétaire à un secrétaire

Triomphale aussi fut la réaction de la secrétaire, quand elle me vit, papiers en main : ''tu vois, je t'avais dit qu'il fallait ces papiers et tu les as''. Elle devient tout d'un coup amie. L'idée me vint qu'elle aussi avait rêvé d'un rapprochement. Je passe évidemment sous silence toutes les gymnastiques faites pour arriver à son bureau. Bien du monde attendait. Maintenant que tous les papiers semblent au complet, je lui demande la seconde phase. ''Si l'administrateur communal passe cet après-midi (car il n'est pas là, et cela semble normal) tu peux l'avoir demain'', entends-je dire. J'acquiesce, satisfait tout de même d'être au bout du calvaire. Mais je prends une autre précaution supplémentaire : à la commune, il y a la secrétaire qui tape les documents, et le secrétaire, homme, véritable gardien des secrets et des non secrets communaux. L'homme est une connaissance. Je prends donc la précaution de lui demander de me rendre le service de présenter mes documents à l'administrateur, vu l'urgence que j'ai de me doter d'un téléphone. Car en effet je vis pratiquement dans le noir, déconnecté des amis et du monde. Il accepte de me rendre ce service.

Qui du secrétaire, de la secrétaire et de l'administrateur a donc raison ?

Le lendemain, je me présente assez tôt pour retirer ma carte. Pour moi, il était question de prendre sans attendre, car convaincu que l'administrateur aurait signé. A la brave secrétaire, je me présente, après évidement avoir fait la queue. Pas la queue, mais la ronde, car là on ne fait pas de queue. L'on se glisse. L'on scrute la moindre occasion qui aide à parvenir au bureau de la secrétaire. Et là tous les jeux sont permis. Je jouais le mien et parvins donc à la brave dame qui me devenait familier. Et effectivement, c'est d'un ton familier qu'elle me dit que ma carte était dans le bureau de l'administrateur qui cette fois était en réunion dans son bureau. Le secrétaire me propose d'ailleurs une place stratégique, qui pouvait me permettre de voir le patron, si par hasard il sortait après la réunion, ou d'entrer le premier s'il se décidait à rester dans son bureau. Mais c'est malheureusement par l'autre porte que sortirent ceux qui étaient en réunion, y compris l'homme à qui j'avais confié la mission, somme toute très possible. Il se confesse et admet ne pas avoir accompli la mission. Je lui pardonne, tout en lui demanda de faire amende honorable en honorant sa promesse tout de suite. Là il se sent coincé. Il va donc voir son chef et revient pour m'annoncer que l'administrateur, qui est aussi une lointaine connaissance, jure avoir signé ma carte la veille.

Mais où est donc passée ma carte ?

Le secrétaire donne à la secrétaire l'ordre de trouver ma carte puisque l'administrateur l'avait bel et bien signée. Elle donne à son tour l'ordre à un planton de fouiller dans les documents que l'administrateur avait signés la veille. Il fouilla. Une première fois, une deuxième fois, une troisième fois... ma carte est introuvable, enfin, pas ma carte, car je ne suis pas sûre qu'elle a été effectivement préparée. Je faisais tout simplement confiance à la secrétaire qui avait juré de l'avoir tapée et envoyée au bureau de l'administrateur. Disparue donc. C'est maintenant la confusion qui s'installe. Où diantre sont passés mes papiers, à défaut de ma carte ? La question vient et revient sans réponse. Entre la secrétaire qui jure que la carte est chez l'administrateur, et le secrétaire qui jure que l'administrateur jure avoir signé ma carte d'identité, qui pouvait avoir raison ? Je me rappelle tout d'un coup des propos que m'avait tenu la secrétaire, la veille. Je ne me rappelle plus dans quelle circonstance, mais toujours est-il qu'elle m'avait glissé que je devais apposer mon empreinte digitale sur ma carte devant l'administrateur communal avant que la carte me soit délivrée. ''Si cela était vrai, cela veut dire que la carte est donc chez l'administrateur'', me dis-je. Allez ! Je décidai de voir l'administrateur moi-même.

J'entre le cœur défendant : une injustice vient d'être commise

Une nouvelle paire de manche. Je me mis à la queue. Toujours la queue, cette nouvelle invention des nouvelles autorités, invention-convention qui est loin d'être toujours respectée, car d'autres personnes se glissaient dans son bureau sans faire la queue, sur clin d'œil complice du ou de la secrétaire. Mon tour s'approcha. Disons que l'administrateur facilita les choses, car grâce à un entrebâillement de la porte ouverte par l'un des sortants, il m'aperçut et me fis signe d'entrer, stoppant tout net l'autre entrant qui était avant moi, et qui comprit tout de suite qu'il devait attendre. J'entrai le cœur défendant et triste dans l'âme, car conscient qu'une injustice venait d'être commise. Mais comment refuser une telle offre ? Impossible. J'entrai donc et lui expliquai la situation, après les civilités d'usage. Il chercha et trouva ma carte. Il s'excusa et me fit déposer mon empreinte digitale. Autre civilités d'usage, et hop ! A moi Léo !

Enfin, la carte SIM

Je me présentai au nième guichet de Léo donc. Recommencer d'abord par payer les huit cents, car les premiers m'avaient été remboursés. Un autre épisode que j'avais passé sous silence. Puis je me mis à la queue. La nième queue s'il vous plait, depuis cette aventure si riche en rebondissements. Je présentai cette fois ma carte d'identité, mais au moment de la présentation, l'on me fit comprendre que ce n'était pas la carte proprement dite dont ils avaient besoin, mais sa photocopie. Je me plains tout haut alors, à l'idée qu'il me fallait courir à la recherche d'une photocopieuse. Mais non ! Quelqu'un me fit remarquer qu'une photocopieuse est placée de l'autre côté, juste à côté de l'entrée. ''C'est sans doute quelqu'un qui a saisi l'opportunité de se faire du pognon, car Léo ne devrait pas avoir de service de photocopie'', me dis-je. Enfin je fis faire la photocopie. Je me mis encore à la queue. Et quand mon tour vint, je reçus le reçu de payement et me présentai au guichet suivant qui devait me donner la carte SIM. Juste quelques opérations de vérification dans la machine, et la carte SIM me fut octroyé.

La CNI oubliée dans le ventre de la photocopieuse

A la sortie, je jetai le regard à la photocopieuse et l'idée géniale me vint de faire une autre photocopie, non deux. Le calcul est clair : ''jamais je ne garderai ma carte originale dans mes poches, je ne circulerais qu'avec des photocopies, et ne ferai appel à l'original que quand ce serait strictement nécessaire, question d'éviter une nouvelle perte et donc de nouvelles tracasseries'', me dis-je. Dans ma joie d'avoir eu la solution miracle, j'oubliai la carte originale dans la photocopieuse, me contentant des photocopies. C'est le photocopieur qui courut derrière moi pour me la remettre. Et tout fut remis dans l'ordre, surtout que je redevenais connecté. '' Mais que serait-il advenu si ma carte d'identité était restée dans le ventre de la photocopieuse et avait ainsi disparu? Je me pose la question toujours, conscient que ça aurait été un cauchemar de plus.