La question qui vient à l'esprit est de savoir les raisons de cette situation de guerre quasi-permanente. Et à qui profite le crime ? Je n'ai aucunement la prétention d'apporter des réponses absolues à ces questions. Mon objet est d'essayer d'apporter quelques éléments de compréhension et surtout amener les populations de la Région des Grands Lacs à s'interroger si les mêmes causes ne produisent pas les mêmes effets à quelques milliers de kilomètres. Y'a-t-il ressemblances entre la situation en Irak et la guerre quasi-permanente constatée dans notre région depuis 1990 ?
1. Un rappel historique.
L'Irak c'est le berceau de plusieurs civilisations, de la Mésopotamie de Nabuchodonosors à Babylone. L'Irak fut le centre de la civilisation islamique et arabe, mais aussi le foyer du schisme entre les sunnites et chiites avec l'assassinat d'Ali, gendre de Mohamed en 661, puis l'assassinat de son fils Hussein et le massacre de Kerbala en 680.
Les sunnites occupent le centre de l'Irak, les shiites le Sud, tandis que le Nord est habité par les kurdes. La population se répartit comme suit: les arabes représentent 80% dont 77% chiites, 17% sunnites et minorités chrétiennes; les Kurdes et Turkmènes 20% sont majoritairement sunnites.
L'Irak sera sous la domination successive de plusieurs empires : perse, mongol, ottoman puis britannique.
Le pays sera indépendant à partir de 1932 mais « sous contrôle » britannique. Des révoltes des nationalistes irakiens auront lieu et aboutiront à la prise de pouvoir par des nassériens alliés aux communistes en 1960. Mais ce pouvoir sera confronté à une déstabilisation quasi permanente par le parti Bass, au sein duquel Saddam Hussein joue un rôle capital. En 1968, le parti Bass prendra le pouvoir et les nassériens et les communistes feront l'objet d'une brutale répression sanglante.
Le parti Bass est alors un parti laïc, soutenu essentiellement par la minorité sunnite et par l'Occident.
Après le triomphe de la Révolution Islamique en Iran, Saddam Hussein soutenu par l'Occident et les pays arabes du Golfe va lancer contre son voisin du nord une guerre qui durera de 1980 à 1988. L'Iran opposera une résistance farouche et l'Irak sortira de la guerre affaibli et surtout avec une économie exsangue. Deux ans plus tard, Saddam Hussein induit sciemment en erreur par certaines puissances aura la mauvaise idée d'envahir le Koweït accusé de n'avoir pas honoré ses engagements financiers dans l'effort de guerre contre l'Iran.
Les Etats-Unis, qui avaient soutenu Saddam contre l'Iran, mettrons en place une coalition des plusieurs Etats et chasseront l'Irak du Koweït. Ils vont imposer un embargo pendant 10 ans qui aurait causé plusieurs millions de morts dus à un manque de nourriture, d'eau potables, et de médicaments.
C'est un régime à bout de souffle que les américains et leurs alliés britanniques renverseront en 2003 sous le prétexte que l'Irak détenait des armes de destruction massive et soutenait le terrorisme notamment l'organisation Al Qu'Aïda. L'occupation américaine durera jusqu'en 2011. Il va s'en dire que la puissance occupante, se ne retira qu'après avoir installé un régime obéissant et dévoué. Une autre réalisation fut la création d'un Etat semi autonome kurde au Nord de l'Irak, déjà initiée lors de la guerre de 1991.
Il faut préciser que lesdites armes de destruction massive n'ont jamais été retrouvées et c'est au cours de l'occupation américaine, qu'Al Qu'Aïda s'est implanté et a proliféré en Irak.
2. Les véritables racines du problème : l'or noir et l'or blanc.
L'Irak est un pays de taille moyenne (435000km²), sa superficie correspond à peu près à la moitié d'un pays comme la Tanzanie mais équivaut à environ 15 fois le Burundi.
Mais son sous sol contiendrait les 2èmes réserves mondiales de pétrole après l'Arabie Saoudite.
Dans cette région désertique, l'Irak a également la plus grande réserve d'eau douce avec les deux plus grands fleuves de la région : le Tigre et l'Euphrate.
Ces deux richesses attirent bien sûr des convoitises, et la vie des Irakiens pèse beaucoup moins face à la boulimie des multinationales en « excrément du diable » dixit feu Président Hugo Chavez.
Les deux richesses qui devraient faire le bonheur des irakiens constituent la véritable source de leur tragédie.
Tout le reste, c'est-à-dire l'antagonisme entre les sunnites, les chiites et les kurdes bien que réel, devient un jeu de manipulation, de division pour mieux régner et piller comme l'on a vu cela ailleurs.
Les acteurs étant bien sûr les politiciens Irakiens eux-mêmes, mais surtout les puissances occidentales et régionales. Le peuple Irakien étant dans ce jeu diabolique, le seul perdant.
3. La guerre de l'EIIL ou la fin de l'Etat d'Irak ?
En réalité, la guerre n'a jamais pris fin en Irak. Les derniers soldats américains se sont retirés en 2011, laissant un pays en proie à des attentats quotidiens qui faisaient des milliers de morts chaque mois. Les services de sécurité semblaient impuissants malgré l'encadrement par les experts de la superpuissance mondiale. Ces attentats étaient attribués à l'Al Qu'Aïda qui est l'organisation mère de l'Etat Islamique en Irak et au Levant (EIIL).
C'est la même EIIL qui aux côtés de Al Nosra et l'Armée syrienne libre, combattait contre le pouvoir de Bachar El Assad en Syrie. Soulignons aussi qu'Al Nosra avait été actif dans le renversement du pouvoir de Kadhafi en Lybie. Si l'Armée Syrienne Libre était ouvertement soutenue par les puissances occidentales notamment les USA, la grande Bretagne, la France et la Turquie, les deux autres organisations étaient considérées comme terroristes et n'auraient bénéficié que du soutien des monarchies du Golfe. Mais leur cruauté et leur efficacité face à l'armée loyaliste syrienne leur a valu une sympathie complice de l'Occident.
C'est au moment où l'Armée Syrienne Libre (ASL), que l'EIIL adossée sur les territoires conquis en Syrie, a lancé son offensive foudroyante en Irak. Les combattants kurdes lançaient concomitamment des attaques contre l'armée irakienne qui leur a permis de conquérir des puits de pétrole et la ville de Kirkouk la plus grande ville du Nord.
Le Parti de Travailleurs Kurdes (PKK) de la Turquie, publia un procès-verbal d'une réunion qui aurait eu lieu entre l'EIIL, les représentants du Kurdistan Irakien, et leurs alliés régionaux et occidentaux avant l'offensive coordonnée de l'EIIL et des combattants kurdes (peshmergas) contre le pouvoir central de l'Irak.
Le succès de cette offensive s'expliquerait non seulement par les attaques coordonnées de l'EIIL et les peshmergas, mais aussi par les moyens mis à leur disposition par leurs soutiens régionaux et occidentaux. Jeune Afrique du 06 au 12 juillet 2014 affirmait que " plusieurs éléments de la rébellion syrienne que les Etats Unis avaient entraînés dans des camps secrets en Jordanie et partiellement armés...avaient rejoint les djihadistes de la Jabhat al-Nosra (affiliés à Al-Qaïda).... Le nombre des rebelles syriens entraînés par les Etats Unis serait compris entre 7000 et 8000". L'EIIL sera du reste reconnaissant, en fermant le pipe-line qui fournissait le pétrole à la Syrie tout en laissant ouverte celle qui alimente la Turquie.
Il est important de souligner la responsabilité du pouvoir de l'homme de paille Al-Maliki, premier ministre irakien, qui a instauré un pouvoir revanchard. Il a assis son pouvoir sur la communauté chiite excluant les sunnites de la gestion du pays. Ce sont ces derniers qui ont ouvert la porte aux djihadistes de l'EIIL.
4. A qui profite le crime ?
Face à l'avancée des combattants de l'EIIL, les occidentaux ont semblé surpris. Mais il est à se demander si la surprise n'est pas feinte. Comment, dans une région aussi stratégique, sous surveillance permanente par les meilleurs services de renseignement du Monde occidental, la montée en puissance de l'EIIL aurait pu être ignorée ?
L'autre élément est la facilité avec laquelle l'EIIL continue à exporter le pétrole, alors que les séparatistes de l'Est de la Libye ont vu leur cargaison vendue illégalement interceptée par la marine américaine en Méditerranée.
Alors que rien ne semblait empêcher les combattants de l'EIIL de s'emparer rapidement de Bagdad, on les a vu se contenter de contrôler la région du centre -Ouest d'Irak, puis relancer l'offensive au Nord de la Syrie. La jonction entre les régions sunnites des deux pays semble ainsi réalisée. Quant à l'Irak, la partition de ce pays en trois nouveaux Etats semble de plus en plus une réalité.
Rappelons qu'en 2007, le sénateur américain Joe Biden, avait déjà proposé la fédéralisation de l'Irak en trois Etats : Kurde, Sunnite et Chiite.
L'évolution actuelle des choses semble aller au-delà d'un Etat fédéral, mais plutôt vers l'éclatement pur et simple de l'Irak. Ne s'agit-il pas tout simplement d'un aboutissement d'un projet du président W. Bush qui avait programmé le « remodelage du Grand Moyen-Orient » ?
Les pétromonarchies du Golfe qui finançaient l'EIIL avant qu'il ne fasse main-basse sur de nombreux champs de pétrole irakien et syrien doivent jubiler devant l'affaiblissement des chiites plutôt proches de l'Iran. Et Israël qui serait parmi les premiers clients du pétrole mis sur le marché par l'EIIL se réjouit probablement de l'affaiblissement progressif des grands pays arabes.
5. Des lendemains incertains.
Dans ce jeu cruel, où le seul perdant semble être le peuple irakien, l'avenir pourrait faire d'autres victimes. Déjà, dans la réunion préparatoire de l'assaut sur l'Irak, la création d'un califat n'aurait pas été évoquée. L'EIIL l'a pourtant proclamé au lendemain de ses victoires sur les troupes de l'armée nationale irakienne. Il n'est donc pas impossible que ses dirigeants aient un agenda caché qui pourrait surprendre certains parmi ses sponsors. Un effet boomerang ne tardera probablement pas à se produire dans les prochains jours.
De nombreux observateurs prêtent à l'EIIL les intentions de conquérir non seulement l'Irak, mais aussi la Jordanie, le Liban et même les pays monarchiques du Golfe.
La presse, notamment russe a parlé du pillage de 40 kg de composants à base d'uranium à l'Université de Mossoul, et des sites chimiques seraient actuellement sous le contrôle des djihadistes.
Il n'est pas impossible que l'EIIL devienne hors contrôle même par ceux-là même qui actuellement semblent tirer les ficelles de l'ombre.
C'est l'ensemble du Proche-Orient qui semble encore une fois s'éloigner de la paix, et étant donné la position stratégique de la région, c'est le monde entier qui devrait être inquiet.
6. Une leçon pour l'Afrique.
La Région des Grands Lacs, le Golfe de Guinée et le Sahel sont depuis plusieurs années plongés dans des conflits interminables. Il est loin d'être un hasard de constater que ces zones de conflits correspondent généralement aux régions soit riches en hydrocarbures, soit en minerais et terres rares.
Les divisions sur base de religions, d'ethnies ou de régions ne sont que le résultat de manipulations de faits émotionnels par ceux qui ont intérêt à voir une Afrique toujours faible.
Les manipulateurs profitant des pouvoirs corrompus, et qui excluent pour une raison ou une autre certaines populations de la gestion et surtout du bénéfice des richesses du pays.
Il s'avère important que seule une cohésion nationale (et africaine) réelle constitue un rempart insurmontable contre tous les partisans de la pêche dans de l'eau trouble. Pour réaliser une telle cohésion à l'échelle africaine, il est urgent et important que les peuples africains en particulier les jeunes sachent et comprennent que les causes profondes de tous ces conflits sont liées à des intérêts géostratégiques de certaines puissances impérialistes. La division n'a jamais constitué une solution, l'exemple du Soudan du Sud est là pour le prouver. Les tutsi-lands et autres-hutu lands ne constitueront jamais de véritables solutions. De même une Centrafrique musulmane au Nord, une Centrafrique dite chrétienne au Sud ou une République du Kivu, une République du Katanga ne seront pas des solutions profitables aux peuples mais seulement pour les vautours qui amassent des milliards de dollars sur des milliers de cadavres.